Témoignage de Laurent Laporte
Laurent Laporte, PDG de Braincube est le troisième invité de nos « Interviews Spotleague », à la demande de son prédécesseur dans la série, Tristan Colombet. Celui-ci était curieux de connaître l’impact de la crise sur le développement des outils de transformation du secteur industriel, spécialité de Braincube. Croyez-le ou non, c’est un hasard : l’actualité de Laurent Laporte, c’est aussi qu’il vient tout juste d’être élu vice-président de la Digital League.

Nous devons nous recentrer sur la question fondamentale d’assurer la pérennité de nos entreprises ⏳
Quelle est l’ambiance à Braincube au sortir de cette année particulière ?
Nous sommes dans une ambiance très positive.
Quand on fait le bilan de 2020, nous nous rendons compte que la société est passée au travers de la crise avec un certain brio. Nous en avons profité pour nous transformer et pour inventer des choses, et nous avons fait une très belle année. Ce n’était pas évident ; nous avons d’ailleurs connu une petite perte d’activité, mais nous sommes à nouveau en croissance et il n’y a pas de souci à court terme. C’est très enthousiasmant.
📣 Qu’est-ce qui a changé de façon durable pour l’entreprise ?
Nous avons engagé des changements profonds sur trois axes.
Le premier concerne le système de collaboration en interne. Bien sûr c’est un secteur facilitant pour le télétravail et nous l’avons généralisé. La crise nous a permis de faire cette expérience grandeur nature et d’en appréhender les limites, avec le besoin d’un certain équilibre. Cela nous a permis le passage à une organisation plus flex, qui offre des opportunités, par exemple pour recruter des personnes extérieures à la région, ou pour permettre à nos collaborateurs d’organiser leur travail différemment. L’un d’eux a ainsi décidé de déménager à Bordeaux pour rejoindre sa compagne.
Le deuxième axe est celui de la relation aux clients. Les réunions à distance nous apportent une vraie efficacité et un gain de temps, en donnant la possibilité d’avoir plusieurs réunions dans la même journée, de faire intervenir davantage de personnes, de pouvoir discuter différemment…
Enfin, nous avons aussi profité de la crise sanitaire pour opérer une réorganisation du travail. Sur la partie opérationnelle, nous étions déjà organisés en petites cellules. Nous avons étendu ce mode de travail cellulaire à la partie commerciale. Nos consultants n’ont plus chacun un portefeuille de comptes, ils ne sont plus en concurrence sur un même client, mais au contraire ils travaillent à plusieurs, ils ont des discussions hebdomadaires sur le pilotage de leur travail ; la notion d’équipe est devenue primordiale. Et cela nous a permis de devenir une société plus customer centrée.
📚 Quelles leçons peut-on tirer de cette crise, de manière générale pour la société et plus particulièrement pour l’industrie du numérique ?
C’est une remise en cause fondamentale de l’organisation globale de nos sociétés, qui met en avant tout ce qui est vital : l’approvisionnement, le lien social, l’impact environnemental… On se rend compte que les activités vitales peuvent aussi être des vecteurs de déséquilibre. Par exemple la chaîne d’approvisionnement, telle qu’elle est organisée, est source de déséquilibres : impacts environnementaux, mais aussi propagation des virus.
Il en va de même pour le numérique, qui repose sur une organisation matérielle avec des machines, des data centers, etc., mais semble en apparence purement virtuelle.
Le numérique a un fort impact aujourd’hui sur le secteur classique, mais il ouvre aussi à une nouvelle économie.
Il convient de l’orienter pour qu’il contribue à réduire l’impact de l’économie classique d’une part, et à développer le virtuel, mais pas sur le mode de consommation que nous avions jusqu’à présent.
Cela m’amène à penser qu’il faudrait réfléchir à une société où on va mesurer autre chose que le PIB : l’état d’esprit, le fait d’être créatif, etc. Le numérique le fait peu aujourd’hui, car il est orienté vers le profit. On peut considérer que la technologie a trois facettes : l’ultra-sécuritaire, l’influence et le vrai progrès. C’est le cas du numérique, qui est utilisé soit pour organiser la surveillance, soit pour influer sur la consommation, soit enfin pour aider à faire des choses intéressantes. C’est ce troisième volet qu’il faut s’appliquer à développer et je pense que la crise pourrait y aider.
Pour donner l’exemple de Braincube, nous aidons les usines existantes à s’organiser pour travailler mieux et donc réduire leurs impacts négatifs, qu’ils soient environnementaux, sociaux, etc. Faire mieux avec l’existant : cela pourrait être un des axes intéressants sur lesquels orienter les industries du numérique.
🎯 Quelles tendances vois-tu se dessiner pour Braincube dans un avenir de l’après-crise covid ?
Nous avons un résultat exceptionnel à l’issue de cette année : le nombre d’utilisateurs a doublé, pour un nombre de clients équivalent.
C’est-à -dire que dans une même entreprise cliente, les systèmes numériques que nous y avons installés sont utilisés par deux fois plus de personnes. Cela signifie que les clients ont pris conscience de l’utilité de ce que nous leur apportons pour devenir plus performantes. Cela change tout. Car nous pouvons prévoir que nos outils vont devenir prioritaires et que cela va se traduire par un afflux d’appels à projets de grande taille. Notre croissance va probablement s’accélérer du fait que nos clients se sont transformés.
Qu’attends-tu de Digital League pour aider à faire émerger cette après-crise ?
Digital League a une mission noble qui est d’aider à renforcer et à développer l’écosystème des entreprises du numérique et elle peut le faire à trois niveaux.
Le premier est le niveau territorial : il s’agit d’améliorer les conditions de vie des entreprises du numérique, en facilitant le recrutement, en organisant le réseautage, en travaillant à la simplification avec les administrations…
Le deuxième niveau est celui de l’entreprise adhérente : Digital League peut lui proposer des choses pour réfléchir sur sa stratégie, son management, son business. Son rôle est d’aider à désiloter, jouer la solidarité et l’échange entre adhérents.
Le troisième niveau est celui des employés, que la Digital League ne touche pas assez et c’est dommage. Elle pourrait contribuer à les faire monter en compétence sur des sujets transversaux, et aider ainsi à renforcer les entreprises en favorisant le partage de connaissance, en ayant une collaboration efficace avec des consultants locaux, en renforçant l’écosystème pour favoriser les retours d’expérience.
Ce que la crise sanitaire induit, c’est qu’elle nous contraint à nous recentrer. Jusqu’ici nous cherchions des sujets de travail sur des thèmes sectoriels. Aujourd’hui le contexte va nous aider à aller vers des questions plus fondamentales : le sujet est aujourd’hui d’aller vers plus de résilience, de se transformer pour assurer de la pérennité de nos entreprises. C’est dans ce sens que la Digital League doit aller pour nous accompagner.
💡 La question de Tristan Colombet, ton prédécesseur dans cette série d’interviews, creuse celles que nous venons d’aborder : en quoi la crise influe ou pas sur ton secteur d’industrie du futur ?
La crise a démontré l’absolue nécessité d’avoir un projet de transformation pour devenir plus autonome, pour faire face à une concurrence mondiale en restant compétitif. Il ne s’agit pas de relocaliser – on ne va pas arrêter la fabrication dans les pays à bas coût car on ne peut pas supprimer les installations qu’on y a implanté – mais de réindustrialiser le pays, ce qui apparaît aujourd’hui souhaitable, et qui devient possible grâce à la transformation numérique.
Les temps de crise apportent cette prise de conscience, ma crainte étant qu’au niveau politique, le discours va plutôt dans le sens d’un retour à l’état antérieur, qui peut limiter la remise en question.
👤 À qui voudrais-tu passer le témoin pour le prochain SpotLeague et quelle question voudrais-tu lui poser ?
Je voudrais passer le relais Ă Emmanuel Ranc, avec la question suivante : « alors que le buzz est toujours en forte augmentation sur l’intelligence artificielle, n’y a-t-il pas des prĂ©mices de l’idĂ©e que ce qui va rĂ©volutionner le monde est plutĂ´t la capacitĂ© d’interconnecter le flux des informations ? Autrement dit : la vraie rĂ©volution ne va-t-elle pas venir davantage de l’IoT que de l’IA ?«Â
Propos recueillis par La Plume Agile